Rencontre avec Andrea Bellini, Directeur du Centre d'Art Contemporain Genève et co-commissaire d’une des expositions de Jaou Photo 2022

Article, 24.10.2022

Andrea Bellini, Directeur du Centre d'Art Contemporain Genève, était de passage à Tunis pour le vernissage de l’exposition «A wake-up song, Mr. President» (06-20.10.2022 au Palais Abdellia) dont il est le co-commissaire avec Lina Lazaar.

Andrea Bellini, Directeur du Centre d'Art Contemporain Genève
Andrea Bellini, Directeur du Centre d'Art Contemporain Genève © Galaxia

Dans le cadre du rendez-vous annuel à vocation purement artistique Jaou, dont l’édition de cette année centrée sur la photographie a été soutenue par l’Ambassade de Suisse en Tunisie et co-organisée par la Fondation Kamel Lazaar et l’Institut français de Tunisie (IFT), l’équipe de l’Ambassade de Suisse est allée à la rencontre d’Andrea Bellini à l’occasion de sa visite à Tunis il y a quelques jours. Directeur du Centre d'Art Contemporain Genève, critique d’art contemporain, Directeur artistique de la Biennale de l’Image en Mouvement ou encore ancien rédacteur en chef du magazine Flash Art International à New York, il est, avec Lina Lazaar, le commissaire de l’exposition «A wake-up song, Mr. President» qui vient de s’achever au Palais Abdellia.

Vous êtes Directeur du Centre d’Art Contemporain Genève depuis septembre 2012. Quelles ont été les évolutions majeures du Centre d’Art Contemporain Genève en une décennie?

Il n'est pas facile de répondre brièvement à cette question. Je vais néanmoins essayer. J'ai voulu faire du Centre d'Art d’Art Contemporain Genève une institution complexe, à plusieurs rythmes: d'une part en menant une activité classique de Kunsthalle, et donc en exposant des artistes émergents, et d'autre part en me concentrant sur certaines expositions de «redécouverte». Je suis convaincu que la réécriture constante de l'histoire de l'art est un exercice qui ne doit pas être uniquement fait par les musées. J'ai également mis l'accent sur la production de livres et de catalogues, avec de larges chronologies et donc avec une forme et un style plutôt académique. J'ai également fait de la Biennale de l'Image en Mouvement une plateforme de production d'œuvres (nous sommes la seule biennale au monde qui commissionne et produit toutes les œuvres présentées dans l'exposition), en essayant de donner plus d'importance à la relation avec les artistes plutôt qu’à une thématique ou à la personnalité des commissaires.

Accueil Centre d'Art Contemporain Genève
Accueil Centre d'Art Contemporain Genève © Quentin Touy

«A wake-up song, Mr. President» a présenté au Palais Abdellia une sélection d’œuvres des 10 dernières années de la BIM. Pourriez-vous nous en dire plus sur cette exposition? Comment ces œuvres ont-elles été choisies pour Tunis?

Cette exposition a vu le jour grâce à l'invitation de Lina Lazaar, dont la fondation réalise un travail extraordinaire en Tunisie. Un travail d'une générosité et d'une qualité inestimables, sans précédent et peut-être impossible à imaginer dans la sphère publique officielle. C'est avec Lina, qui est la co-commissaire de l'exposition, que nous avons sélectionné les œuvres, en choisissant parmi celles produites à Genève depuis 2014. Nous avons précisément choisi les pièces en pensant d'une part à leur dimension poétique et d'autre part à leur dimension politique. Les deux choses vont de pair : ceux qui sont impliqués dans la culture et l'art cultivent en eux l'idée que la fonction de la poésie et des poètes est de changer le monde pour le meilleur. 

Le titre est une incitation à l'engagement politique, mais aussi une invitation aux «puissants» du monde à prêter attention à ce que les poètes, les opprimés, les discriminés en raison de leur race, de leur couleur, de leur orientation sexuelle, expriment et ont à leur dire.

Une des oeuvres de l'exposition «A wake-up song, Mr. President» à Tunis
Une des oeuvres de l'exposition «A wake-up song, Mr. President» à Tunis © DFAE

Souhaitiez-vous transmettre quelque chose en particulier à travers cette exposition?

Simplement cette idée que «les poètes sont les législateurs non reconnus du monde», pour citer Percy Bysshe Shelley. La classe politique peut s'en désintéresser, mais les Hommes passent, les idées restent, et tôt ou tard, elles finissent par gagner.

Avez-vous eu le temps de voir la réaction des visiteurs à Tunis? Trouvez-vous les perceptions vraiment différentes entre les deux cultures tunisienne et suisse?

Malheureusement, j'ai dû partir le lendemain du vernissage. Ce que j'ai constaté les jours précédents, dans tous les autres vernissages dans Tunis, c'est le grand enthousiasme avec lequel les jeunes visitent les expositions d'art contemporain. Il est merveilleux de voir comment ces jeunes, garçons et filles, avec ou sans voile, ressentent le besoin d'entrer en contact avec l'art, et donc avec la culture de notre temps. Honnêtement, cet enthousiasme est de plus en plus rare dans l'Europe continentale, où les jeunes ont déjà beaucoup et le considère comme acquis.

Trouvez-vous une particularité à l’art tunisien sous quelle forme qu’il soit?

Honnêtement, je ne suis pas un expert de la scène artistique tunisienne. Ce que je remarque, c'est qu'il y a, en Tunisie, un potentiel immense représenté par des jeunes extraordinaires, curieux et enthousiastes. Je suis tellement impressionné par votre territoire que j'espère revenir souvent. En fait, avec Lina, nous travaillons sur un projet très intéressant pour Tunis, donc je pense que je serai amené à revenir très régulièrement.

Est-il difficile d’exporter des expositions de ce type dans un autre pays?

Je ne pense pas que ce soit si difficile. L'important est de le faire avec sensibilité et sans arrogance, avec l'idée de semer une graine d'espoir et de la faire germer et grandir.

Étiez-vous déjà venu à Tunis à titre professionnel?  Si oui, y a-t-il des œuvres de Tunisiens que vous appréciez particulièrement?

Je suis venu en Tunisie pour la première fois cet été pour visiter les lieux disponibles et adaptés à l'exposition. J'ai eu l'occasion de voir de nombreux espaces d'exposition, vraiment extraordinaires, fondés par des collectionneurs privés et des amateurs d'art. Le programme culturel de Jaou Photo et celui de toutes les institutions partenaires est véritablement de très haut niveau. Je ne veux pas me limiter à citer quelques noms, ce serait forcément réducteur. Ce que je peux dire, c'est que je trouve la scène artistique tunisienne, dans son ensemble et dans toute sa diversité, de très grande qualité, d’un point de vue artistique, mais aussi intellectuel et surtout humain.

Avez-vous d’autres projets?

Un projet qui me tient particulièrement à cœur est l’idée de poursuivre la collaboration avec la Fondation Kamel Lazaar. Nous échangeons avec Lina et travaillons à construire un projet très intéressant: la création d'un lieu de production d'images en mouvement à Tunis. Je ne veux pas en dire plus car la fondation KLF l'annoncera en détail le moment venu. Nous travaillons également à une collaboration avec l'ambassade de Suisse à Tunis, où j'ai noué de très précieux contacts pour la réalisation d’expositions et des projets de résidence.