Ioannis Kapodistrias

Tableau de Ioannis Kapodistrias par Dionysios Tsokos. © Musée Historique National, Athènes

Monsieur le Comte de Capo d’Istria est un grand homme d’Etat ayant joué un rôle de premier plan dans la réorganisation institutionnelle de la Suisse et dans l’affirmation du statut de sa neutralité permanente.

Né à Corfou en 1776, Ministre plénipotentiaire du Tsar Alexandre 1er aux Congrès de Vienne et de Paris, partisan de la lutte de libération contre les Ottomans puis gouverneur élu de la Grèce affranchie, Capo d’Istria a légué à la Suisse la structure de son Etat fédéral ainsi que la pratique de la neutralité. La Suisse elle-même ne serait sans doute pas ce qu’elle est aujourd’hui, sans ce génie de la négociation et son attachement à la Suisse.

Première mission en Suisse : Contribution à la création d’un état viable et relativement indépendant

Le génie diplomatique et humain de Capo d’Istria se manifeste dans le contexte de la fin des guerres napoléoniennes menées par le dirigeant français. En imposant à la Confédération helvétique l’Acte de médiation de 1803, Napoléon abolit le gouvernement central et offre à chaque canton une Constitution qui ne tiendra pas compte de leurs particularités. En 1813, la Confédération est envahie par les soldats des puissances victorieuses (Royaume-Uni, Russie, Prusse, Autriche) qui se mettent à réorganiser l’Europe en restaurant l’ordre ancien. En 1813, Capo d’Istria, diplomate au service de l’empire russe, reçoit du tsar Alexandre Ier, protecteur et promoteur de l’indépendance suisse, l’instruction de «sauver [la Suisse] » et d’en faire un pays neutre. Le diplomate y sera envoyé de novembre 1813 à septembre 1814 avec en tête l’objectif de faire signer un Contrat fédéral, condition indispensable à la participation suisse au Congrès de Vienne.

Le diplomate arrive à un moment où la Suisse est profondément divisée et se trouve quasiment au bord d’une guerre civile. Durant ces dix mois et grâce à l’utilisation du dialogue, de force de conviction et de persévérance qui forcent l’admiration, ce diplomate de génie va convaincre les cantons à s’entendre pour poser les bases de la fondation de la Suisse. Il écrit des projets de constitution, des résolutions, des décisions, des lettres et grâce à son activité ardue et obstinée, Capo d’Istria  « [exerce] incontestablement […] l’influence la plus déterminante » parmi les envoyés des Puissances alliées. Suite à sa première mission en Suisse, chaque canton élabore une nouvelle Constitution, la Diète (Assemblée des Députés) ratifie la constitution fédérale, la paix civile est rétablie et la Suisse est reconnue par les Alliés. 

Avocat des intérêts suisses au Congrès de Vienne et au Second Traité de Paris

Lors du Congrès de Vienne (septembre 1814 – juin 1815) réunissant les représentants diplomatiques des grandes puissances européennes, vainqueurs des guerres napoléoniennes, Capo d’Istria va faire connaissance et se lier d’amitié avec l’homme d’état genevois Charles Pictet de Rochemont, disposant d’un mandat de la république de Genève. Les deux hommes, en compagnie du député genevois François d’Ivernois, vont collaborer afin de rallier Genève en tant que canton à la Confédération helvétique, « arrondir » son territoire et ainsi assurer une frontière militaire sûre au canton et à la Confédération. Suite à ce Congrès de 1815, Genève rejoint la Confédération qui obtient ses frontières définitives inchangées jusqu’à aujourd’hui. Le pays de Vaud est également redevable à Capo d’Istria qui insiste avec succès pour que ce territoire devienne un canton souverain.

Lors de la deuxième conférence de paix de Paris (1815) qui suit la seconde abdication de Napoléon, le « duo » Capo d’Istria – Pictet va à nouveau s’illustrer en faisant adopter par décret la fameuse reconnaissance de la neutralité permanente de la Suisse, aspiration de longue date des Suisses et préoccupation principale des grandes puissances, notamment de la Russie. Le texte de la fameuse déclaration sera rédigée par Pictet, à la demande de Capo d’Istria qui la transmettra telle quelle aux Hauts Représentants des Alliés. Lors de ces deux Congrès, Capo d’Istria sera l’avocat le plus fidèle, le plus infatigable et le plus efficace des intérêts suisses ainsi que le « guide » et la « boussole » de l’homme le plus respecté de la République de Genève, M. Pictet de Rochemont.  

Buste de Capo d’Istria inauguré à Ouchy en présence de la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey et son homologue russe Sergueï Lavrov, 29.09.2009. ©DFAE

Les mérites de Capo d’Istria, à qui on octroiera la citoyenneté d’honneur de Genève et de Vaud, sont reconnus en Suisse et représentés à travers l’attribution de son nom à l’un des plus beaux quais de Genève, la pose d’une plaquette commémorative sur sa maison genevoise, ainsi qu’à travers l’inauguration d’une statue à son effigie, en 2009, à Ouchy, au bord du lac Léman. 

Citations

Biographe écrite par son secrétaire Genevois Elie-Ami Bétant:

«Né dans une république faible et divisée, familiarisé […] avec le langage des passions populaires, Capodistrias se trouva parfaitement à l’aise au milieu du choc des partis qui agitaient l’Helvétie à cette époque. Il sut se concilier leur estime, parce qu’il n’employa jamais avec eux ni duplicité, ni roideur, et s’initia franchement à leurs affaires domestiques […]». (BETANT Elie-Ami, Correspondant du comte J- Capodistrias, Président de la Grèce, Genève-Paris, 1839, vol.I, p.25).

«La conduite de Capodistrias en Suisse lui a toujours fait le plus grand honneur. Dans l’origine, la mission dont il était chargé lui attira la malveillance des différents partis dont il blessait les intérêts; mais peu à peu ses nobles qualités furent mieux appréciées, et aujourd’hui les Suisses sont unanimes dans leurs regrets de sa perte; son nom est également vénéré par les hommes de toutes les opinions» (idem, p.28).

Rapport de fin de mission au Grand Conseil de Genève de Charles Pictet de Rochemont (avril 1815):

« […] de tous ceux qui se sont intéressés à nos succès, personne ne l’a fait avec plus de suite, de bienveillance, d’intelligence et d’effet que le comte Capo d’Istria. Dans quatre-vingt-douze conférences que j’ai eues avec lui, je l’ai toujours trouvé semblable à lui-même, le meilleur guide, le meilleur conseil, et d’une patience que rien n’a pu lasser quoique les affaires de la Suisses lui aient souvent donné de justes sujets de dégoût et que la grande négociation de la Pologne et de la Saxe lui fût principalement confiée, ce qui aurait pu faire excuser son indifférence pour les intérêts de la petite Genève » (CRAMER Lucien, Correspondance diplomatique de Pictet de Rochemont et de François d’Ivernois, Paris, Vienne, Turine 1814-1816, 2 vol. Genève-Paris 1914, I, XXIII).