Retour sur l’expérience des jeunes change-makers tunisiens au Sommet d’été Moyen-Orient Méditerranée 2022

Article, 21.04.2023

En 2022, les deux Tunisiens Boutheina Saidani et Saber Ben Hassen ont participé au MEM, un rendez-vous annuel organisé par l’Università della Svizzera italiana et qui offre un espace de dialogue libre à de jeunes change-makers de différents pays du Moyen-Orient et de l’espace méditerranéen.

Les deux Tunisiens Boutheina Saidani et Saber Ben Hassen qui ont participé au MEM 2022
Les deux Tunisiens Boutheina Saidani et Saber Ben Hassen qui ont participé au MEM 2022 © Boutheina Saidani/Saber Ben Hassen

À Lugano (canton du Tessin), le Middle East Mediterranean Summer Summit (MEM) réunit chaque année des jeunes de 25 à 35 ans de différents pays du Moyen-Orient et de l’espace méditerranéen, mais aussi des intellectuels, entrepreneurs, représentants d’autorités politiques ou dirigeants en leur offrant un espace de dialogue libre et constructif. Organisé par l’Università della Svizzera italiana avec le soutien du Département fédéral des affaires étrangères de la Confédération suisse, le programme du MEM s’articule autour de la géopolitique et du leadership, des récits culturels et de la bonne gouvernance. Autant de thèmes qui s’adressent aux jeunes acteurs du changement de la région: les young change-makers.

La Tunisie a été représentée à plusieurs reprises aux précédentes éditions de ce rendez-vous désormais incontournable. En 2022, par exemple, deux Tunisiens ont pu participer à la 5e édition du MEM: Boutheina Saidani, consultante en gestion de projet, et Saber Ben Hassen, fondateur de Carthage magazine. Des parcours différents mais une expérience commune enrichissante. Rencontre avec ces deux young change-makers à l’avenir prometteur.

Saber Ben Hassen

Saber Ben Hassen, fondateur de Carthage magazine
Saber Ben Hassen, fondateur de Carthage magazine © Saber Ben Hassen

31 ans, fondateur de Carthage magazine

«L’une des meilleures occasions de networking que j’aie pu vivre»

Comment en avez-vous entendu parler?

Je fais partie du groupe Facebook des alumni du «Thomas Jefferson Scholarship Program» qui compte plus de 600 membres. Wajdi Belloumi, chargé de programme à IREX2, a partagé l’appel à candidature du MEM (2022) dans ce groupe, ce qui m’a semblé être une belle opportunité. Quelque chose d’unique. J’avais déjà connu une expérience à Dubaï et je me suis dit que le MEM serait aussi enrichissant.

J’ai alors répondu au questionnaire, fait une vidéo d’une minute comme demandé. Je pense que cette procédure permet déjà de faire la pré-sélection de bons candidats, surtout avec la vidéo qui va au-delà d’un questionnaire. Les profils des candidats étaient impressionnants. J’ai avancé dans ma demande et on m’a répondu assez tard, fin juin-début juillet il me semble.

Selon vous, pourquoi votre candidature a-t-elle été retenue?

À mon avis, grâce à Carthage magazine qui est unique et professionnel, et a de très bons retours. Je pense que c’est ce qui a fait la différence. Aussi, le fait d'avoir l'esprit d'entreprise, de posséder et de diriger Carthage Magazine, qui est en Tunisie la première et plus grande publication en ligne d'intérêt général en langue anglaise, a vraiment fait la différence. Le fait d’avoir étudié à la fois en Tunisie et à l'étranger et son impact sur la conscience multiculturelle, la maîtrise de plusieurs langues, l'ouverture d'esprit et le niveau intellectuel ont certainement joué un rôle positif dans l'acceptation de ma candidature.

Saber Ben Hassen et l'Ambassadeur de Suisse en Tunisie Josef Renggli
Saber Ben Hassen et l'Ambassadeur de Suisse en Tunisie Josef Renggli © Università della Svizzera italiana

Avez-vous participé à des panels/séminaires?

Il y avait plusieurs thèmes, comme la géopolitique et le leadership. Des experts en géopolitique ont donc échangé avec nous, comme par exemple le conseiller du Président Macron. On nous a parlé des conflits dans et autour de la région MENA, de la guerre en Ukraine et son impact sur la région MENA, surtout en matière de sécurité alimentaire. Nous avons également beaucoup échangé sur la Syrie, l’Iran et l’Arabie Saoudite.

Il y avait aussi la présence d’experts en mapping, notamment un du New York Times qui nous a montré plusieurs maps de la région MENA. On nous a également parlé des ressources naturelles et du poids de chaque pays.

Le changement climatique et la sécurité alimentaire ont fait aussi partie d’une grande discussion et d’ateliers, dont un sur la migration.

Au MEM, on a eu l’occasion d’échanger avec trois représentants du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) en Suisse. Nous avions fait la veille un workshop pour choisir les meilleures questions à leur poser.

On a aussi parlé des récits culturels, de l’art et du cinéma sans trop s’y attarder avec la participation par Zoom du photographe tunisien Amine Landolsi et d’un artiste saoudien.

Qu’avez-vous pu tirer de cette expérience?

J’ai appris beaucoup de choses. C’était aussi une des meilleures occasions de networking que j’aie pu vivre car il y avait des profils de différents profils : des professeurs dans des universités, des organisations, des personnes qui travaillent aux Nations unies, etc. Tous ont tenu à garder contact, ce qui est facilité grâce à une plateforme créée pour l’occasion. Ce type de networking est bien pratique dans la région MENA car il nous rapproche, surtout en cas de conflits.

Se rencontrer est un autre avantage du MEM, car on ne peut pas forcément le faire à d’autres occasions. C’est aussi un espace sûr pour le dialogue: le but n’est pas de résoudre des conflits sur place mais d’en discuter. Ce qui a été succès.

*IREX: International Research & Exchanges Board, une organisation internationale à but non lucratif spécialisée dans l'éducation et le développement à l'échelle mondiale. Wajdi Belloumi y supervise la mise en œuvre sur le terrain du programme de bourses Thomas Jefferson en Tunisie.

Selfie des participant.e.s au MEM 2022
Selfie des participant.e.s au MEM 2022 © Università della Svizzera italiana

Boutheina Saidani

Boutheina Saidani
Boutheina Saidani © Boutheina Saidani

25 ans, actuellement consultante en gestion de projet

«Le MEM a été une vraie prise de conscience et un vrai échange»

Quel est votre parcours académique?

J’ai fait une licence HEC prépa à IHEC Carthage. Ensuite, je suis tombée amoureuse de l’économie et j’ai fait un master en économie internationale de développement. C’était hyper intéressant. Le COVID-19 est arrivé, je n’avais pas trouvé de stage. C’était un peu compliqué car l’économie de développement est une niche avec quelques cabinets qui y travaillent. Si l’on n’est pas du domaine, on ne pourra pas les connaître tous. Ne pas trouver de stage était un handicap d’intégration pour la suite. J’ai donc fait une alternance en business project management. La gestion de projet est valable dans tous les domaines.

Pendant le MEM, j’étais donc étudiante en Business Project Management. Actuellement, je viens d'être recrutée dans un cabinet de conseil. J'entamerai ma première mission au sein de BNP Paribas Securities Services (BNP2S). Mon objectif à court terme est d'explorer la gestion de projet pure et dure d'un point de vue technique indépendamment du domaine. En seconde étape j'aimerais pouvoir combiner les compétences acquises en gestion de projet avec l'économie internationale de développement afin de pouvoir travailler sur des projets au niveau des organisations internationales.

Comment avez-vous appris pour l’appel à candidature du MEM?

Je suis tombée dessus par hasard et j’avais trouvé cela intéressant. Je me suis alors dit pourquoi ne pas postuler? Sauf que j’avais raté la première deadline! J’ai tout de même pu postuler car il y avait eu une extension de la date de candidature. Je me suis retrouvée sur la liste d’attente et j’ai commencé à accepter l’idée que ma candidature n’allait pas être retenue. On m’a par la suite envoyé un e-mail m’informant qu’une place s’était libérée et j’ai dit «oui» de suite. J’ai aussi envoyé une demande de «sponsorisation» pour payer le logement sur place, mais j’ai acheté moi-même mes billets d’avion.

Selon vous, pourquoi votre candidature a-t-elle été retenue?

Je pense que mes expériences passées y ont contribué. J’ai par exemple participé au camp d’entreprenariat SPARK Ventures en Égypte, à l’Open Startup Tunisia (OST): une compétition locale en Tunisie qui nous a permis de travailler avec des étudiants en MBA de la New York University. J’ai également fait du bénévolat en Thaïlande pendant un mois et demi pour enseigner l’anglais aux enfants: je faisais alors partie d’AIESEC*. Je pense que c’est peut-être donc grâce à mon background associatif. Être une Tunisienne vivant en France y est peut-être aussi pour quelque chose: je rejoins les deux rives, ce qui ferait écho avec le nom du sommet! Communiquer en anglais pourrait être aussi un atout. En somme, c’est probablement un peu de tout cela, en plus du domaine de spécialisation de mon premier master qui est au centre des sujets évoqués par le MEM.

Votre avis par rapport à cette expérience?

Une expérience à vivre qui ne se résume pas en un mot mais à travers des paragraphes! Les thématiques et intervenants étaient hyper intéressants!

J’ai adoré le fait qu’un film y soit présenté, même si je n’ai pas forcément accroché et que, à mon humble avis, il aurait pu être un court métrage. J’ai adoré l’idée que l’on ait parlé d’art, d’échanges culturels, de géopolitique, de changement climatique ou de sécurité alimentaire: des thématiques complémentaires et hyper intéressantes à la fin! Pour chaque sujet il y avait un expert avec lequel on pouvait échanger. 9 jours de conférences: un cours le matin, un workshop l’après-midi. Ensuite le forum pour le 10e jour. Il y avait plusieurs panels dont un sur l’Iran, un autre sur l’énergie, etc. Pour la clôture, nous étions trois à donner le mot de la fin: un Suisse, une Libanaise et moi-même.

Discussion lors de la 5e édition du MEM à Lugano
Discussion lors de la 5e édition du MEM à Lugano © Università della Svizzera italiana

Avez-vous participé à des panels?

Non. J’ai plutôt participé au mot de la fin. (Voir lien plus bas).

L’expérience au MEM peut-être apporter un plus à la Tunisie?

Elle peut apporter énormément de choses. En Tunisie, on a toujours l’impression qu’on est les seuls au monde. Pour mon premier master en économie internationale j’étais dans une classe internationale avec une vingtaine de nationalités : Japon; Australie, États-Unis, etc. C’est là que j’ai réalisé que nous, Tunisiens, n’étions pas les seuls à avoir des problèmes. Tous les pays en ont. Le fait de savoir que tous en ont et que les solutions peuvent être communes est déjà un début. On doit coexister avec certaines choses. On ne peut changer la société en un clin d’œil. Il faut une volonté, certes de l’État, mais surtout du peuple en soi. Un changement pas forcément «top-down» mais «bottom-up».

Pour moi, le MEM a été une vraie prise de conscience et un vrai échange. Je pourrais résumer cela en «rencontrer» et «échanger». Quand on rencontre l’autre et que l’on parle avec lui, les peurs se dissipent. Nous avons probablement chacun nos intérêts mais nous pouvons en discuter avec un certain niveau intellectuel et tenter de trouver des solutions.

Le MEM vous a-t-il permis de faire du networking?

Comme je compte continuer dans l’économie de développement, j’ai pu rencontrer au MEM des personnes qui font des métiers auxquels j’aspire. Les avoir sur mon carnet d’adresses me permettra de les contacter si je venais un jour à changer de voie. Mis à part cela, les avoir sur LinkedIn me permet de voir l’actualité à travers ce que ces personnes partagent. Pour moi, le networking n’est pas un bouton sur lequel on appuie pour tout obtenir d’un seul coup. C’est une relation à long terme qui s’entretient. C’est aussi une manière d’essayer d’évoluer avec sa communauté et faire rencontrer deux communautés différentes.

Un mot aux Tunisien.ne.s pour le prochain appel à candidature du MEM?

Si vous n’y allez pas, vous allez rater beaucoup de choses! Je ne parle pas de la ville en soi, qui est d’ailleurs super belle mais que je n’ai pas eu l’occasion de bien visiter à cause de mon mémoire que j’ai dû travailler en même temps. Allez-y donc sans votre mémoire ! Il faut aussi y aller rien que pour rencontrer des personnes de partout et pour s’ouvrir aux autres. La tolérance se travaille en écoutant l’autre. On n’a rien à perdre. Tu vas passer 10 jours en Suisse avec un beau temps mais tu vas surtout apprendre plein de choses. Il faut d’ailleurs y aller avec le mindset « je veux y aller pour apprendre de toute personne présente dans la pièce » et non un mindset «je veux voyager». On y va pour apprendre des autres et grandir.

*AIESEC: Association internationale des étudiants en sciences économiques et commerciales