Accroître la cohérence, c’est renforcer la politique extérieure
À l’heure actuelle, presque toutes les questions de politique intérieure ont une dimension internationale. Dans un monde où les déséquilibres s’accentuent, la Suisse doit se positionner clairement pour défendre ses intérêts et ses valeurs. Avec la stratégie de politique extérieure 2020-2023 approuvée le 29 janvier par le Conseil fédéral, elle dispose d’un instrument de pilotage efficace. La Secrétaire d’État a.i. Krystyna Marty joue un rôle central dans sa mise en œuvre. Interview.
Secrétaire d’État a.i. Krystyna Marty. © DFAE
Madame Marty, avant toute chose, pourquoi faut-il une stratégie de politique extérieure?
Il est important d’avoir une stratégie de politique extérieure qui nous guide dans un contexte international devenu plus complexe et nous aide à fixer des priorités et des objectifs de manière ciblée. Une telle stratégie est essentielle à une politique extérieure cohérente. Accroître la cohérence, c’est renforcer la politique extérieure.
Dès 2011, le Conseil fédéral a chargé le DFAE de présenter un rapport de politique extérieure chaque année et une stratégie de politique extérieure tous les quatre ans. Pour chaque législature, il y a donc une nouvelle stratégie de politique extérieure, fixée, non par le DFAE, mais par le Conseil fédéral. Celle-ci sera suivie de stratégies thématiques ou régionales, portant par exemple sur la coopération internationale (CI) ou sur la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA), l’Afrique ou la Chine.
Selon vous, cette stratégie n’est pas une stratégie du DFAE et la cohérence est primordiale. Que voulez-vous dire?
Pour le chef du département, il était très important que la nouvelle stratégie de politique extérieure bénéficie d’une large adhésion et qu’elle soit bien connue au sein de l’administration fédérale. Elle ne doit donc pas se limiter à des thèmes « classiques » du DFAE comme les bons offices, la promotion de la paix ou l’ONU, mais présenter la politique extérieure dans toutes ses dimensions, de la politique économique extérieure à la santé en passant par la culture et la diplomatie scientifique. Pour obtenir un tableau complet et tenir compte des priorités de tous les départements, nous avons mené pendant un an un processus auquel tous les services fédéraux ont participé.
Ce processus a été conduit par l’ex-secrétaire d’État Pascale Baeriswyl. Je tiens ici à lui adresser tous mes remerciements pour cette stratégie, qui bénéficie d’une large adhésion.
Un tel processus interdépartemental était-il vraimentnouveau?
Sous cette forme, oui. Les deux stratégies précédentes ont chacune été approuvées par le Conseil fédéral en dernière étape. La vraie nouveauté, c’est que cette stratégie a été élaborée dans le cadre d’un processus structuré et inclusif.
Avez-vous également pu associer au processus des acteurs extérieurs?
Oui, jusqu’à un certain point. Nous avons ainsi eu des échanges avec l’Association suisse de politique étrangère (ASPE), foraus ou Staatslabor. De même, notre projet «Meet the ambassadors», qui a été mené pour la première fois durant l’été 2019, a eu un impact sur l’élaboration de la stratégie. Outre la stratégie elle-même, qui offre un vaste tour d’horizon, le DFAE a aussi publié une brochure de synthèse afin d’encourager le dialogue politique interne.
Quels sont, à votre avis, les principaux points à retenir de cette stratégie?
Il s’agit, selon moi, des quatre priorités thématiques: la paix et la sécurité, la prospérité, la durabilité et la numérisation.
Concernant la paix et la sécurité, la candidature à un siège au Conseil de sécurité de l’ONU et les bons offices sont au premier plan. S’agissant de la prospérité, nous avons opté pour une approche globale, allant de la lutte contre la pauvreté extrême à la stabilité des marchés financiers, en passant par l’éducation.
Pour ce qui est de la durabilité, l’Agenda 2030 ainsi que le renforcement de la protection du climat et de l’environnement occupent une place de choix. Quant à la numérisation, l’accent est mis sur la gouvernance numérique, c’est-à-dire sur la définition de règles du jeu internationales. Par ailleurs, nous voulons aussi défendre au mieux nos intérêts et nos valeurs dans le cyberespace et positionner Genève comme centre de la politique numérique internationale. Enfin, il convient de relever les objectifs clairs définis pour toutes les régions du monde et pour les huit pays prioritaires à l’échelle mondiale, le renforcement de la coopération avec des États de même sensibilité ainsi que l’attachement à un réseau extérieur solide.
Pourquoi un réseau extérieur solide est-il si important? Le téléphone, le courrier électronique et la visiophonie ne sont-ils pas suffisants pour assurer les contacts intergouvernementaux?
La Suisse se permet une politique extérieure indépendante. Nous ne pouvons pas, et ne voulons pas, nous en remettre à des alliances ou à des groupes d’États pour défendre nos intérêts. Certes, nous possédons un réseau extérieur bien développé en comparaison internationale, et cela a un coût. Mais cela en vaut la peine: presque partout dans le monde, nos représentants gouvernementaux, nos hauts fonctionnaires, mais aussi nos entreprises, nos artistes, nos touristes ou nos scientifiques trouvent sur place des partenaires fiables, ayant un bon réseau de contacts. Or, ces contacts, il faut les cultiver et donc être présent sur place. Les moyens de communication modernes ne suffisent pas.
«Il n’y a qu’une seule Suisse à l’étranger», a dit le conseiller fédéral Ignazio Cassis à plusieurs occasions. Quel est l’apport de la stratégie à cet égard?
Selon la stratégie, nos représentations à l’étranger doivent encore renforcer leur rôle de plateformes au sens de l’approche «One Switzerland». Nos ambassadeurs sont les plus hauts représentants de la Suisse dans le pays accréditaire. Ils veillent à montrer la diversité de la Suisse et à créer une valeur ajoutée directe pour les différents acteurs suisses. Mais une présence cohérente à l’étranger et vis-à-vis d’autres pays suppose aussi une certaine coordination au niveau national. Il s’agit là d’une mission permanente pour le DFAE, car dans un monde globalisé, la politique extérieure gagne en importance et en complexité. Cela enrichit clairement notre travail et le rend aussi stimulant.
La Stratégie de politique extérieure 2020-2023 est la troisième que le Conseil fédéral adopte.
Le gouvernement a en effet chargé en 2011 le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) d’élaborer un tel document à un rythme quadriennal.
Depuis, la stratégie de politique extérieure est présentée par le DFAE au début de chaque nouvelle législature afin de fixer des priorités pour les quatre années à venir. La stratégie est adoptée par le Conseil fédéral et a été élaborée pour la première fois dans un processus interdépartemental.
La stratégie de politique extérieure 2020-2023 transpose dans un cadre d’action extérieure les objectifs fixés par le Conseil fédéral dans le programme de législature. Découlant de la Constitution et fondée sur la constance, la confiance et la tradition, elle pose de nouveaux accents par rapport à la stratégie précédente et propose de nouveaux instruments.
Le bilan des deux stratégies précédentes (2012-2015; 2016-2019) est tiré dans les Rapports de politique extérieure.
Les quatre priorités thématiques de la stratégie de politique extérieure 2020-2023 (paix et sécurité; prospérité; durabilité; numérisation) et les objectifs en découlant seront mis en œuvre dans toutes les régions du monde ainsi qu’au niveau multilatéral.