« La coopération intergouvernementale : d’autant plus essentielle en temps de crise »

La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) célèbre cette année son 70e anniversaire. Le temps d’un entretien, l’ambassadeur Christian Meuwly, représentant permanent de la Suisse auprès du Conseil de l’Europe à Strasbourg, nous livre ses réflexions sur l’importance, l’efficacité et l’évolution de ce texte, et évoque le rôle essentiel que la coopération intergouvernementale est appelée à jouer en période de crise.

L'image donne un aperçu de l'histoire de la Convention européenne des droits de l'homme et souligne le fait que la Suisse y a adhéré en 1963 et l'a ratifiée en 1974.

(source: brochure «La Convention européenne des droits de l’homme ...», Centre suisse de compétence pour les droits humains e. al., Lucerne 2014) © DFAE

La photo montre l'Ambassadeur Christian Meuwly, représentant permanent de la Suisse auprès du Conseil de l'Europe à Strasbourg.
M. l’ambassadeur Christian Meuwly, représentant permanent de la Suisse auprès du Conseil de l’Europe. © Représentation perm. de la Suisse auprès du Conseil de l’Europe

Monsieur Meuwly, la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) célèbre cette année son 70e anniversaire. Comment les thèmes traités par la CEDH ont-ils évolué au fil du temps?

Les conditions de vie de la population sont en constante évolution. Les nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle ou la médecine reproductive soulèvent de nouvelles questions en lien avec la protection des droits de l’homme. L’ensemble des lois, ordonnances et décisions de justice doivent systématiquement être considérées sous l’angle des droits fondamentaux également. Il s’agit d’un défi de taille pour les autorités nationales et d’une préoccupation majeure pour le Conseil de l’Europe. Le fait que l’organisation, qui se limitait initialement à l’Europe occidentale, ait pris une dimension paneuropéenne après la fin de la guerre froide a également son importance, car cette transformation a débouché sur une multiplication et une diversification des questions relatives aux droits de l’homme.

Les échanges internationaux sont indispensables pour relever les défis de portée mondiale.

La crise liée au COVID-19 tient en haleine toute la planète. Quel rôle le Conseil de l’Europe est-il appelé à jouer dans la gestion de la pandémie? Est-il encore à même de remplir correctement sa mission dans de telles circonstances?

C’est justement dans des crises mondiales telles que la pandémie de COVID-19 que la coopération interétatique révèle tout son potentiel. Les échanges internationaux sur les connaissances acquises et les mesures prises ou envisagées sont essentiels pour pouvoir relever les défis de portée mondiale. Les organisations internationales mettent à disposition des plateformes permettant de tels échanges. Au Conseil de l’Europe, le thème de la gouvernance est une préoccupation majeure: comment résoudre efficacement les problèmes de coexistence tout en respectant au mieux les droits et les libertés individuels ainsi que les principes de l’état de droit et les valeurs de la démocratie? Cette question se trouve au cœur du débat public sur les mesures de lutte contre la pandémie. 

L'image consiste en la formulation de l'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui est appelé le droit à un recours effectif.
© DFAE

Permettez-moi une brève rétrospective: la CEDH a été signée le 4 novembre 1950. L’année précédente, dix États d’Europe occidentale avaient fondé le Conseil de l’Europe. Quelles sont les considérations qui, à l’époque, ont présidé à la création d’un instrument contraignant pour la protection des droits de l’homme en Europe? 

Les événements qui se sont déroulés avant et pendant la Seconde Guerre mondiale ont montré clairement que la reconnaissance solennelle des valeurs et des vertus occidentales ne suffisait pas à elle seule à protéger efficacement les droits de l’homme en Europe. Après l’adoption par les Nations Unies de la Déclaration universelle des droits de l’homme en 1948, les Européens ont réussi à mettre sur pied un dispositif de protection permettant à toute personne de faire valoir ses droits individuels et de porter plainte devant une institution supranationale, la Cour européenne des droits de l’homme. Cette cour est chargée de surveiller le respect effectif de ces droits fondamentaux.

Comment faut-il se représenter la situation dans laquelle se trouvait l’Europe de l’après-guerre? 

L’Europe était divisée: les États de l’Europe centrale et orientale se trouvaient sous le joug de l’Union soviétique, tandis que l’Europe occidentale était confrontée au défi, gigantesque, de la reconstruction. Cette tâche fut entreprise sous la conduite des États-Unis, à travers le Plan Marshall et moyennant la création de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Militairement parlant, la volonté de se prémunir contre une éventuelle agression de l’Union soviétique et de ses alliés a conduit à la création de l’OTAN sous la houlette des États-Unis. En même temps, des personnalités d’Europe occidentale se sont mobilisées en faveur d’une Europe unie et indépendante, fondée sur les principes de la liberté et de la démocratie. C’est cette vision qui sous-tend la création du Conseil de l’Europe.

La Convention européenne des droits de l’homme, l’histoire d’une réussite unique.
Le tableau est basé sur la formulation de l'article 2 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui est appelé le droit à la vie.
© DFAE

La signature de la CEDH est venue compléter le dispositif national de protection des droits de l’homme en l’assortissant de garanties et de mécanismes de protection internationaux. La convention est entrée en vigueur en 1953, suite à la dixième ratification. Peut-on la qualifier de réussite?

Oui, absolument. La Convention européenne des droits de l’homme vise à garantir les droits inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. La ratification de la CEDH et l’abolition de la peine de mort sont des prérequis essentiels à l’adhésion au Conseil de l’Europe. La possibilité de s’adresser à une cour internationale de justice pour vérifier que des décisions prises par les plus hautes juridictions nationales sont compatibles avec les droits de l’homme constituait alors une première mondiale. 

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L'image est basée sur la formulation de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui stipule : «Liberté de pensée, de conscience et de religion».
© DFAE

Quand la Suisse a-t-elle signé la CEDH?

Le 21 décembre 1972, près de dix ans après l’adhésion de notre pays au Conseil de l’Europe le 6 mai 1963. Dans les années 1960, des volets importants de l’ordre juridique suisse n’étaient pas encore compatibles avec la CEDH. Je pense notamment au droit de vote des femmes qui, comme chacun le sait, n’a été introduit qu’en 1971, et aux dispositions confessionnelles d’exception de la Constitution fédérale dirigées contre l’église catholique. La Suisse a ratifié la CEDH le 28 novembre 1974. 

L'image est tirée du libellé de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, qui se lit comme suit : «Liberté d'expression».
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Comment évaluez-vous l’impact général de la CEDH?

La CEDH a un impact majeur sur la jurisprudence, la législation et la pratique gouvernementale en Europe. En Suisse aussi, les tribunaux, les parlements, les gouvernements et les administrations s’emploient à tenir compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Mais la CEDH produit également des effets dans des États membres où l’on observe de fréquentes violations des droits de l’homme. Les personnes persécutées pour des motifs politiques ainsi que les défenseurs des droits de l’homme trouvent ainsi un soutien à Strasbourg, et pas seulement en dernière instance. Les problèmes enregistrés dans ces pays sont abordés publiquement et les représentants des gouvernements concernés doivent se justifier aussi bien devant l’Assemblée parlementaire qu’au sein du Conseil des ministres du Conseil de l’Europe. Les nombreux comités d’experts dans le cadre desquels les États membres échangent leurs points de vue et adoptent des recommandations sur des questions spécifiques telles que le régime carcéral ou la lutte contre la haine et le racisme sur les réseaux sociaux revêtent également une grande importance. 

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